Au fond, en y réfléchissant bien ...
L'exclusion, la catégorisation et la mise à l’écart, dans des lieux< spéciaux, de personnes en situation de handicap manifestent la difficulté que rencontre notre société à considérer l'humain dans sa fragilité et dans sa vulnérabilité.
Normes. Fondamentalement les handicapés nous font peur parce qu’ils incarnent ce que nous ne voulons pas être ni devenir, parce qu’ils présentent cette part d’humanité à laquelle nous ne voulons pas appartenir. Les normes que nous érigeons et derrière lesquelles nous nous barricadons définissent le périmètre des seules formes d’humanité auxquelles nous consentons. Ceux qui s’écartent de ces normes sont différents et, de façon rassurante, exclus du périmètre.
L’édiction de normes joue donc un rôle central dans ce processus d’exclusion. Formalisant ce qui doit être, la norme concourt ainsi au maintien et à la préservation d’une essence et instaure une exigence de conformité à cette dernière pour pouvoir prétendre en relever. Cette exigence est formulée et imposée par ceux-là mêmes qui s’en perçoivent comme la référence. Toute non-conformité établit alors une différence d’être : celui qui n’est pas conforme est dès lors réputé différent. La norme, en instaurant la différence, s’oppose ainsi à la conjugaison de singularités diversifiées et devient exclusive.
S’affranchir de ces mécanismes d’exclusion nécessite d’adopter un point de vue radicalement contraire et de se placer dans l'acceptation collective du tragique et du consentement au devenir aussi précaire et fragile qu’il puisse se révéler. Cette perspective exclut toute norme car l’existence se voit d’emblée acceptée dans sa mouvance, son évolution et sa diversité. La différence ne peut être invoquée puisque la norme a disparue. Seul existe l’humain dans la diversité évolutive des formes qu’il peut revêtir : jamais le même humain mais toujours l’humain. Jamais différent mais toujours semblable. Cette similitude prend le visage de figures plurielles et en devenir au sein d’une biodiversité de l’humain.
Précarité. Nous sommes marqués au sceau de la précarité : notre destin commun est de mourir. Les personnes handicapées ne sont que le miroir grossissant de la fragilité et de la vulnérabilité que nous connaissons ou que nous connaîtrons tous. Cette fragilité, cette précarité et cette vulnérabilité sont difficiles à affronter au sein d’une société valorisant particulièrement la performance et l'’excellence. Il n’existe pourtant pas deux humanités : l'une normale accédant au patrimoine commun et l'autre handicapée exclue de ce patrimoine. Il n'existe qu'un continuum de déclinaisons multiples de la fragilité et de la vulnérabilité au sein de ce qui constitue une biodiversité de l’humain.
C'est paradoxalement ce qui nous relie fondamentalement, cette précarité intrinsèque que nous partageons, qui génère de l'exclusion au sein de notre société. Or la reconnaissance de la fragilité, de la vulnérabilité et de la précarité qui marquent et caractérisent chacune de nos existences, est précisément ce qui fonde, beaucoup plus que l’excellence, le lien que nous pouvons entretenir les uns avec les autres, qui fonde le lien démocratique qui nous rend proche de quiconque. La prise en compte de notre fragilité devient ainsi un enjeu de solidarité et de démocratie pour toute la société.
Équipollence. L’enjeu est donc d'organiser la société et l'environnement de façon à ce que chacun, dans la diversité, la fragilité, la précarité et la mouvance de ses conditions d’existence, demeure sujet de droits qu'il puisse en permanence exercer au sein de l'espace commun. Ce partage du patrimoine commun s’oppose à toute relégation de la personne en situation de handicap dans une existence de sous-citoyen où d’autres, la considérant comme objet de leurs soins, la contraignent à subir les décisions et les choix qu’ils opèrent à sa place. Au fond, consentir à la diversité et au devenir revient à envisager la vie autrement, comme véritablement vivante, dans un droit d’exister pleinement avec les autres et non plus seulement de vivre ou de survivre. C’est précisément cela, l’équipollence. Et c’est notre projet. Pour les personnes que nous accompagnerons et pour tous les citoyens du territoire qui nous accueilleront pour réaliser ensemble, à l’échelon qui sera le nôtre, une société d’équipollence…